Le jeudi 16 avril dernier, j’ai écrit à l’adresse mail de l’étude Plasmacovid de l’hôpital St Antoine, en lien avec l’Établissement Français du Sang. Comme son nom l’indique, c’est une recherche en cours sur le plasma des personnes ayant eu le Covid-19, afin de trouver un traitement pour les malades.
Alors que je pensais qu’on ne me répondrait jamais car je m’y étais pris trop tard, le 7 mai, une médecin de l’EFS me rappelle pour me poser les questions de routine puis pour prendre RDV. Tout va bien jusqu’au moment où l’on évoque mon poids, qui n’avait pas été mis à jour depuis mon dernier don, il y a un petit moment. 115 kilos pour 1m71, j’entends une contrariété dans la voix au bout du fil. « Hmmm… c’est un IMC à 39,3 soit juste à la limite ! ».
« Ben ça peut faire des problèmes de santé après… »
Comment ça, la limite ? Quelle limite ?
Je suis donneurse depuis plus de 10 ans et c’est la première fois que j’entends parler de ça, alors que la limite des 50kg minimum — qui ne m’a jamais concernée — je l’ai toujours vu mentionnée partout ! Mon interlocutrice me dit qu’avec un IMC égal ou supérieur à 40, pas de don possible. Coincé•e entre ma joie de pouvoir mettre mon historique de coronavirus à contribution, la surprise complète face à cette info contrariante et l'envie de gueuler injustement contre la (par ailleurs très gentille) médecin au téléphone… Je n’ai pas réussi à venir questionner correctement cette histoire de limite haute. Naturellement, en guise d’explication fuyante, j’ai eu le classique « ben ça peut faire des problèmes de santé après… ». Okay, vu.
Le temps de digérer cette nouvelle et voir ce que j’allais en faire, plus d’une semaine avant de me rendre à l’EFS, j’ai partagé cette déplaisante découverte sur les réseaux sociaux. Je n’ai pas fait de statistiques mais, à vue de nez, j’ai eu 85% de personnes concernées sur leur gros cul, choquées, et les 15% restants s’étaient déjà vu refuser un don de sang en raison de leur poids. Ça sent le truc à l’appréciation de lae soignant•e qui mène l’entretien en amont du don, ça !... Pour m’éviter de me jeter sur cette conclusion en prenant un raccourci, j’ai fouillé sur le site de l’EFS. Mais rien, nulle part, ne stipule une telle limite. Et mon énervement n’a fait que croître. J’ai donc fini par poser ma question dans ma conversation mail initiale. Rapidement, j’ai eu la réponse suivante :
« Un IMC supérieur ou égal à 40 est estimé comme un facteur de risque, élément important pour nous médecin à prendre en compte lors de l’entretien médical pour un bonne tolérance sur le plan cardiologique. Le poids et la taille étant des données mises à jour à chaque entretien pré-don. La sécurité du receveur et du donneur est primordiale. En vous remerciant de l’ intérêt que vous portez aux malades, je reste à votre disposition pour tout complément d’information »
Puisque la réponse restait vague et que l’on m’a ouvert la porte pour continuer à poser des questions, je suis retourné•e à la charge en faisant part des retours que j’avais eus de donneurses gros•ses, et de ma propre expérience de grossophobie médicale. La réponse, un peu plus échaudée du côté de la docteure au bout du clavier, ne s'est pas faite attendre :
« En aucun cas c’est selon l’appréciation personnelle des personnes habilités à l’entretien pré-don. L’arrêté du 17 décembre 2019 réactualisé le 02/04/2020 fixant les critères de sélection des donneurs de sang nous explique que dans le cadre de l’obésité, le volume sanguin est surestimé par rapport au poids seul et expose ainsi le donneur à un risque plus important d’incident indésirable. La sécurité du donneur est aussi importante que celle du receveur. »
Ah ben voilà, de vrais éléments à creuser. Et, clairement, le principe de prendre soin de la personne qui donne son sang autant que celle qui le reçoit est essentielle, bien sûr ! Sauf qu’en consultant le texte de loi qu’a évoqué cette membre de l’EFS sur Legifrance, aucune trace des directives qu’elle a évoquées dans le mail. Je lui envoie donc le lien pour lui demander si c’est bien ce texte-là, ou si elle peut m’en envoyer le document auquel elle fait référence. JE VEUX COMPRENDRE.
« Il n’y a pas de loi qui stipule cette limite, il s’agit de bon sens »
Manifestement, j’ai déclenché une petite panique en interne, car c’est une docteure de l’EFS de Créteil qui m’a appelée dans l'heure qui a suivi, après qu’on lui a transmis mes mails. La suite s’est donc faite à l’oral, à mon grand regret. J’ai tenté de prendre les notes les plus fidèles possibles, mais ce ne sera pas aussi précis qu’avec un échange écrit, forcément…
« Il n’y a pas de loi qui stipule cette limite, il s’agit de bon sens », me dit-elle tout d’abord, « car notre mission première est la sécurité donneur ». Encore une fois : j’entends et je respecte cette approche là, mais ce n’est qu’une réponse partielle à mon interrogation, légitime. Elle m’explique ensuite qu’il y a un premier facteur, pour une limite haute, d’ordre matériel : « Sur les lieux de collecte mobile, les fauteuils ne peuvent pas soutenir une personne pesant plus de 130 kilos ». C’est relou, mais c’est pas comme si on avait pas l’habitude que les infrastructures ne nous prennent pas en compte, nous les gros•ses. Rien de surprenant ou de révolutionnaire de ce côté, donc. Mais quid des risques dont m’avait parlé ma première interlocutrice ?
La médecin enchaîne alors avec des explications sur l’aspect médical de la question, pour justifier un refus aux personnes avec un IMC égal ou supérieur à 40. À l’EFS, l’IMC permet de « ranger les sujets en trois catégories : maigres, normaux, obèses ». Hum. « Les personnes obèses n’ont pas plus de sang dans leur organisme que les autres et quel que soit le sujet, on ne peut pas prélever plus de 13% de la masse sanguine totale ». Pour finir, elle me répète qu’elle ne peut pas me renvoyer vers un document détaillant cette règle, mais que je peux me référer au calcul de Gilcher sur le volume sanguin total, sur lequel se base l’EFS pour encadrer ses dons.
La médecin enchaîne alors avec des explications sur l’aspect médical de la question, pour justifier un refus aux personnes avec un IMC égal ou supérieur à 40. À l’EFS, l’IMC permet de « ranger les sujets en trois catégories : maigres, normaux, obèses ». Hum. « Les personnes obèses n’ont pas plus de sang dans leur organisme que les autres et quel que soit le sujet, on ne peut pas prélever plus de 13% de la masse sanguine totale ». Pour finir, elle me répète qu’elle ne peut pas me renvoyer vers un document détaillant cette règle, mais que je peux me référer au calcul de Gilcher sur le volume sanguin total, sur lequel se base l’EFS pour encadrer ses dons.
« Règle des 5 de Gilcher permettant de calculer le VST (volume sanguin total)
Femme :
- obèse : 60 ml/kg
- normale : 70 ml/kg
- maigre : 65 ml/kg
- athlétique : 75 ml/kg.
Homme : VST de la femme + 5 ml/kg »
Femme :
- obèse : 60 ml/kg
- normale : 70 ml/kg
- maigre : 65 ml/kg
- athlétique : 75 ml/kg.
Homme : VST de la femme + 5 ml/kg »
Okay, là, j’ai eu ma réponse.
C’est quand même autre chose que les « facteur de risque » ou « incident indésirable » qu’on m’a servi de prime-abord, sans explications concrètes pour étayer !
Calculs incomplets, justifications bancales
Cependant, si ces précisions finalement obtenues me semblent en effet faire appel à une vraie logique, que je peux envisager d’accepter, elle ne me font pas décolérer pour autant. Pourquoi ? Parce que :
- Si la limite basse des 50kg minimum pour faire un don est indiquée absolument partout, celle qui touche à un IMC supérieur ou égal à 40 ne l’est pas. Un refus qui tombe du ciel pour une personne n’ayant pas connaissance d’une limite la concernant, c’est violent. Et injuste. Surtout après avoir fait la démarche de venir sur place.
À titre de comparaison, j’ai regardé sur les deux sites de don anglophones que j’ai trouvés en mentionnant une limite de poids (sans préciser haute ou basse). Sur le site du Benioff Children's Hospital de San Francisco, la limite basse est de 110 pounds soit 49,89 kilos et des poussières. Quant au surpoids et à l’obésité il est mentionné ainsi « Il n’y a pas de limite haute du moment que votre poids ne dépasse pas la capacité d’accueil du fauteuil ou lit de don que vous utilisez. Vous pouvez parler de ces limites avec votre médecin traitant ». Sur le site officiel du don de sang au Royaume-Uni Donate Blood, affilié au système de santé publique local, il est écrit à la seconde ligne des conditions pour pouvoir donner son sang : « peser entre 50 et 158 kilos ».
Pourquoi faire ce choix de ne pas indiquer cette limite sur le site de l’EFS alors ? Ne pas informer les personnes gros•ses de ces conditions « pour ne pas discriminer » n’est en aucun cas meilleur que de l’écrire en toutes lettres. C’est au mieux nous infantiliser, au pire, nous prendre pour des con•ne•s. Surtout que le poids reste une information obtenue sur la base du déclaratif durant l’entretien. Cette façon de responsabiliser les gens d’un côté et de les maintenir dans l’obscurité de l’autre, me laisse dans un insondable abîme de perplexité. Ce n’est pourtant pas faute de coucher noir sur blanc des recommandations aux relents homophobes juste à côté… Cette volonté d’épargner nos susceptibilités, donc, à vif en raison d’une grossophobie médicale déjà bien installée autour ne dédouane pas l’EFS de la grossophobie dont sont imprégnées ses règles imprécises ! - Des règles imprécises et floues, oui, car : même dans les locaux de l'EFS, elles ne sont pas claires. Une fois ces réponses en poche pour aller faire mon don de plasma le 15 mai, j’ai décidé de questionner le personnel en situation. La médecin qui a fait mon entretien pré-don était extrêmement sèche, et lorsque j’ai demandé pourquoi elle demandait à nouveau le poids que j’avais déjà communiqué lors de l’entretien téléphonique, j’ai eu le droit à un « Oui, eh bien on pose les mêmes questions ici, c’est comme ça ! ». Ensuite, elle a fait la gueule lorsque j’ai répondu par la négative à toutes les questions sur des antécédents pathologiques. Ce jugement silencieux mais bien perceptible, j’en ai l’habitude. Et, clairement, je n’ai pas cherché à aller plus loin avec elle.
En revanche, l’infirmière qui s’est occupée de moi pour le don derrière m’a répondu avec une simplicité rafraîchissante que non « on n'a pas vraiment de règles sur la limite haute du poids pour le don ». Elle m’a ensuite précisé qu’elle connaissait un donneur régulier qui pesait 140 kilos. Des indications qui laissent supposer que les fameuses règles seraient surtout à l’appréciation de lae médecin réalisant l’entretien pré-don : on y revient. - Le calcul vers lequel on me renvoie reste approximatif quant aux personnes obèses. Le spectre de l’obésité mathématique, si j’ose dire, commence avec un IMC de 30, qui marque l’entrée dans l’obésité « modérée ». Nous avons ensuite l’obésité « élevée » à 35 puis l’obésité « massive ou morbide » (on peut aussi trouver « sévère » par endroits) à partir de 40. Or la fameuse règle de Gilcher indique juste « obèse », alors pourquoi une ligne infranchissable à 40 et non à partir de 30, si ce calcul est censé protéger les personnes obèses d’un incident lors d’un don ? Entre 30 et 40, on peut se permettre une mise en danger alors ? 🤔
Vraiment, il faut qu’on m’explique. Et la réponse attendue n’est certainement pas l’instauration d’un passage obligé sur la balance ou de limites renforcées pour l’accès au don. Non, juste de la cohérence et de la transparence. - Last but not least... L’IMC, c’est de la merde.
Énième rappel : l’Indice de Masse Corporelle est un calcul froid du poids divisé par la taille au carré, qui ne prend en compte ni la masse osseuse, ni la masse musculaire. C’est du pifomètre bien verni, qui peut éventuellement donner une indication de santé… tout à fait arbitraire. Pourquoi gardons-nous encore comme référence, en 2020, une formule bricolée par un mathématicien-astronome-naturaliste-sociologue-mais-pas-médecin belge en 1832 ?! Cette question est loin de ne concerner que l’EFS, mais je la pose quand même, puisqu’on en parle (je vous invite toustes chaleureusement à aller regarder la série de vidéos consacrée à ce sujet d’OK2BeFat, en anglais, sur YouTube).
En conclusion :
Ceci n’est pas un article à charge contre l’Établissement Français du Sang. C’est un retour d’expérience de donneurse, ainsi que quelques recherches et pistes de réflexion sur un sujet méconnu et... problématique. Je le publie afin que d’autres personnes grosses soient informées et pour qu’elles aussi, puissent venir questionner les imprécisions mentionnées ci-dessus, ainsi que les choix de communication les concernant qui en découlent.
Bien sûr, dans ma sale caboche de révolutionnaire du gras utoptimiste se trouve aussi le scintillant espoir que ces quelques lignes puissent aider l’EFS à s’orienter vers plus de clarté et de bienveillance sur l’encadrement des dons de sang sur le sujet de la corpulence des donneurses.