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jeudi 30 décembre 2021

Ma pire expérience de grossophobie médicale : la moins "violente" de toutes


Voilà plus d'un an que je n'ai rien écrit sur le blog. Mais au-delà de la fatigue et du surmenage habituels, je sais d'où ça vient : une des dernières expériences de grossophobie médicale que j'ai vécues en avril dernier m'a mis une claque dont je ne me suis pas encore remis·e

Comme l'année avait déjà commencé assez sur les chapeaux de roues avec l'émission de chirurgie bariatrique grossophobe de Karine Le Marchand sur M6 et que la mobilisation de Gras Politique et des militant·e·s féministes anti-grossophobie #PasMaRenaissance avait été extrêmement énergivore... j'ai du me mettre en retrait pour cicatriser —tout en culpabilisant de ne plus trop réagir aux actualités sur la grossophobie ces derniers mois, sinon, ça n'aurait pas été drôle. Bref, je ne sais pas si je suis tout à fait prêt·e à l'heure où j'écris ces lignes, mais j'ai en tout cas la certitude qu'il m'est nécessaire de laisser cette mauvaise expérience derrière-moi, en 2021, et qu'il me reste très peu de temps pour le faire en posant des mots dessus. Alors advienne que pourra, je me lance. 

Baisser sa garde face à la grossophobie médicale : grosse erreur !

Comme le titre vous l'aura indiqué, je vais vous parler de l'expérience de grossophobie médicale que j'ai le plus mal vécu en 32 tours du Soleil, bien qu'elle n'ait pas été « méchante » ou « maltraitante » pour un sou. Faites-vous infuser un petit pisse-mémé, je vais planter le décor et ce ne sera pas exactement rapide.

Militant·e LGBTQI+ et féministe engagé·e dans la lutte contre le VIH/sida et la sérophobie depuis 2015, dans une association, puis maintenant deux, j'ai souhaité en début d'année dernière intégrer un essai vaccinal ambitieux qui s'est lancé en région parisienne. Cela nécessitait : une bonne disponibilité durant plusieurs mois pour des examens réguliers, de suivre des consignes assez strictes pour que le protocole scientifique de l'étude soit respecté et être à l'aise avec l'idée que, selon si on se retrouvait dans le groupe placébo ou non, il y avait la possibilité de se retrouver avec un "faux positif" VIH (la présence souhaitée d'anticorps lorsque l'on développe un vaccin, en gros). Ce qui, sérophobie administrative oblige (les personnes séropositives sous traitement ont une espérance de vie égale à celle des séronegs), aurait nécessité des justificatifs pour les banques et assurances lors d'une demande prêt notamment, sachant qu'en temps que personne obèse je suis déjà mauvais·e candidat·e pour ce genre de démarches... mais c'est un autre sujet.

Le jour de mon entretien avec une des deux personnes en charge de l'essai vaccinal en visio, j'avais bien tout cela en tête, mais une question et une seule à poser : mon poids va-t-il être un problème pour participer à cette étude ? Après mes découvertes du printemps 2020 sur les restrictions « à la tête du client » imposées aux donneurs·ses de sang gros·ses par de l'Établissement Français du Sang, je préfère ne pas compter sur l'objectivité des soignant·e·s que j'ai en face sur le sujet et poser directement la question. Mais, mon obésité ne sera pas un obstacle, m'assure le professeur ! Une réponse apaisante qui m'a permis de me projeter dans ma participation à cet essai qui, vous l'aurez compris dans le paragraphe précédent, me tenait énormément à coeur.

On en apprend vraiment tous les jours sur l'étendue de la grossophobie

Rassuré·e, quelques semaines plus tard, je me rends dans l'un des hôpitaux où le suivi de l'étude est assuré, en journée, sur des heures qu'il me faudra rattraper au travail. Je m'acquitte des formalités à l'accueil puis suis reçu·e par une personne que je ne connaissais pas et non mon interlocuteur, dans un bureau, pour un dernier entretien avant de passer aux prises de sang préalables à l'entrée dans le protocole d'essai. Tout d'abord, on doit s'assurer que je n'ai pas de contre-indications. Je parcours le document de plusieurs pages (je n'ai pas compté, j'aurais dû, me dis-je rétrospectivement, pour souligner l'absurdité qui approche), et rien, absolument rien, en travers du chemin. Mais une fois cela terminé, on me demande de monter sur la balance. J'ai vu flou. Je ne l'ai pas vu venir et n'ai pas su protester, alors même que mes angoisses d'ancien·ne anorexique de me confronter à cet instrument de torture sans avoir enlevé toutes les couches de vêtements possibles auparavant remontaient, je suis monté·e dessus.

Tout est allé très vite. Je n'ai pas regardé mon poids, je m'en fous, mais la soignante s'est immédiatement lancée dans le calcul de mon IMC, sans un regard vers moi. Verdict : 42 et des poussières, ce qui, apparemment, disqualifiait sur le champ ma participation. La pièce s'est mise à tanguer. Pardon ? La limite est de 40, m'indique-t-on. Ce n'était pas sur le questionnaire que je venais d'avoir entre les mains, et surtout, le mec à la tête de l'étude m'avait assuré que mon obésité ne serait pas un problème. Il doit y avoir une erreur. J'essaie de garder mon calme et demande à ce que cela soit confirmé, ou infirmé. Elle me laisse seul·e quelques minutes dans la pièce puis revient avec une collègue, l'air gêné, un peu désolé aussi, pour me dire que, effectivement, on m'avait fait·e venir pour rien car ma candidature à l'essai n'était pas recevable en raison de mon poids. 

Je ne sais pas comment j'ai réussi à sortir de ce dédale de couloirs, d'ascenseurs et de halls en gardant la tête haute, mais une fois sur le parking, j'ai explosé. Malgré le flot continu de larmes qui embuait mes yeux, je me suis empressé·e d'écrire au professeur qui dirigeait l'étude pour lui faire part de mon incompréhension et de ma déception, tout en lui rappelant le b.a.-ba de l'IMC, à savoir :

Quelques heures plus tard, lorsque j'ai repris ma journée de télétravail, défait·e et les yeux en feu, j'ai reçu sa réponse :

« Chère Olga je suis désolé et cela est de ma faute j'aurais du demander plus exactement vos mensurations. Je suis d'accord avec vous que tout cela est assez arbitraire mais ce sont des critères que nous ne pouvons pas contourner.

Je vous remercie encore pour votre engagement et vous tiendrai au courant si vous le souhaitez de la suite de ce projet

Bien cordialement »

Naturellement, je n'y ai rien trouvé de réparateur dans ces mots, juste un bon torrent de boue au moulin de ma colère. « Je suis d'accord avec vous que tout cela est assez arbitraire mais ce sont des critères que nous ne pouvons pas contourner ». Un éminent membre du corps médical venait littéralement de hausser les épaules pour confirmer toutes les choses que les fat activistes dénoncent depuis des décennies au sujet de l'IMC comme unité de mesure pertinente.

Je suis trop lourd·e —par rapport à quoi, on ne sait pas— juste trop lourd·e

J'aurais pu surenchérir : mais du coup, le vaccin, à terme, il serait aussi injecté à des personnes obèses, n'est-ce pas ? Je n'ai aucune des nombreuses et pour certaines fréquentes contre-indications à l'étude et c'est mon IMC, qui ne donne aucune indication sur mon état de santé, le facteur d'exclusion ? Vous admettez que l'Indice de Masse Corporelle est un outil daté et arbitraire mais vous n'avez pas songé à l'enlever des facteurs de sélection pour votre étude parce que... c'est comme ça ? Je bouillonnais de rage. Mais j'ai préféré laisser tomber. Je suis trop lourd·e — par rapport à quoi, on ne sait pas — juste trop lourd·e et ce constat est un point final. Avec des années de lutte contre diverses formes de grossophobie derrière moi, j'ai appris à choisir mes combats, celui-ci était, malgré ce que l'on m'avait initialement assuré, perdu d'avance.

Clairement, vous avez venu voir le truc dès les premières lignes de ce témoignage, contrairement à moi qui me pensais en sécurité après un échange oral. Mais j'ai envie de m'attarder sur le ressenti que j'en ai, encore aujourd'hui, 8 mois après. Dans le titre puis l'intro de ce billet de blog, je parle de la pire expérience de grossophobie médicale que j'ai vécue. Je m'auto-choque presque, en l'admettant. Parce que des connards en blouse blanche qui m'ont fait une leçon sur la posture, le sport et l'alimentation sans regarder ma gorge alors que je venais pour une angine purulente ou qui ont pris soin de préciser que mon foie était « graisseux » pendant l'écho censée déterminer la taille des calculs rénaux qui me faisaient tordre de douleur, j'en ai rencontré un paquet sur mon chemin...

Les médecins qui se sont montré·e·s méprisant·e·s, injustes, indélicat·e·s, insensibles voire méchant·e·s quant à mon poids, je ne les compte plus, et ça, c'était de la violence médicale grossophobe pure jus. Alors pourquoi est-ce que j'ai si mal vécu cette dernière expérience ? Après tout, ce n'est pas un droit que de pouvoir participer à une étude clinique en tant que cobaye, j'en ai bien conscience. Il ne s'agit pas non plus de mon accès à la santé, fondamental, je m'en rends bien compte.

J'ai échangé avec pas mal de copaines ces derniers mois à ce sujet, concerné·e·s par le VIH, par le surpoids ou l'obésité, les deux à la fois pour certain·e·s, ma psy bien sûr et quelques soignant·e·s non-grossophobes de mon entourage. Toustes ont été choqué·e·s et m'ont confirmé que je n'étais pas dans le caprice que ma grossophobie intériorisée me le laissait penser. Iels m'ont permis de comprendre que ce que j'avais vécu là en terme de grossophobie médicale était une violence symbolique réelle. Et c'est vrai, en sortant de l'hôpital, je me sentais bon·ne à rien, inutile et seul·e fautifve de l'être. Ce qui est bien caractéristique des délicieuses sensations que la grossophobie offre aux gros·ses — sans solutionner « l'épidémie d'obésité » pour autant, étrangement, mais bon, comme pour l'usage de l'IMC, on continue, parce que flemme de changer quoi que ce soit pour ces feignasses de gros·ses et puis, le contrôle du corps est une valeur vue comme morale facilement cotable en bourse après tout !

Rappel : aucune excuse pour la grossophobie.

Ce n'est certes pas mon intégrité physique qui a été menacée, mais ma valeur en tant que membre de la société qui a été remise en question par cette règle bancale mais traditionnelle de l'IMC « trop élevé », comme pour ma mésaventure au don de sang. Et, mes cher·e·s adelphes du gras, laissez-moi vous dire et vous répéter que tout, absolument tout, ce qui nous fait sentir inférieur·e·s, indésirables et indignes de considération et de respect en raison de notre grosseur est le problème que nous n'avons jamais été.

Mes gros·ses sûr·e·s, en cette période de fêtes de fin d'année particulièrement riche en grossophobie, je vous envoie toutes mes plus tendres pensées pour vous caresser, si vous y consentez, dans le sens du bourrelet. J'espère —sans trop y croire non plus, vu que la dernière fois que je me suis permis d'être moins vigilant·e la réalité m'a roulé dessus— que l'année 2022 sera plus douce avec nous. Prenez soin de vous, et, vraiment, invoquez le pouvoir de la non-mixité grosse aussi souvent que possible pour recharger les batteries ❤️❤️❤️



PS : quant à l'IMC, l'article de Lucie Inland Plus que jamais, l'IMC est une mesure obsolète de la bonne santé sur Slate (qui m'a d'ailleurs fait l'honneur de citer mon billet sur le don du sang) est un essentiel, à faire lire à toustes !