Oh well, presque un an de pause non annoncée sur le blog dites donc ! Je vais pas me confondre une énième fois en excuses et explications, c'est ainsi, je me mets au clavier comme et quand je peux. Et puisque, personnellement, je vis la grossophobie des fêtes de fin d'année encore plus violemment que celle du "corps de plage" estival, c'est le moment idéal pour reprendre. Surtout après le récent traitement médiatique de l'histoire de la nouvelle Miss France, Vaimalama Chaves, pour lequel je vais me permettre une *petite* (on se sait) digression en guise de préambule... Après, on parlera d'occupation de l'espace en tant que personnes grosses ;)
On raconte la perte de poids de la jeune femme comme le passage d'un "monstre" à une "bombe". Et si elle a effectivement subi le harcèlement de ses camarades à l'école parce que leurs comportements sont le reflet de la société grossophobe dans laquelle iels évoluent, parler "d'obésité" pour une personne mesurant 1m78 et pesant 80kg est inexact. Et donc mensonger. Certes, l'IMC (25,2 : synonyme de surpoids, pour la Vaimalama Chaves pré-régime) est toujours autant un concept approximatif et biaisé. Mais envoyer le message aux masses qu'un tel rapport poids/taille soit le signe d'une obésité "monstrueuse"... c'est tout simplement criminel. Tout comme le fait de ne raconter que les histoires de pertes de poids dans les représentations collectives, pour bien asseoir l'idée que c'est le seul salut des gros.ses et autres "pas minces". Oui, criminel. La grossophobie tue.
Donc comme si on n'avait pas assez à faire au mois de décembre, avec la complainte des minces qui ont peur de grossir (j'ai fait un petit thread Twitter là-dessus la semaine dernière, je prépare un article) à cause de deux malheureux repas de réveillon et une boîte de chocolats _enchaînant blagues grossophobes et dissertations sur les régimes et détox à longueur de journée pour se rassurer aux dépens des gros.ses_ on baigne dans les clichés de ce faux conte de fées instrumentalisé à la gloire du culte de la minceur. Et pourtant c'est un gros monsieur en costume rouge qu'on va célébrer durant les derniers jours de l'année ? Il y est des contradictions qui me dépassent, ma foi.
Bref, parenthèse de contexte terminée... j'ai envie de vous parler d'un très chouette outil pour faire le plein de puissance : la non-mixité entre personnes grosses.
J'ai compris l'intérêt du concept de non-mixité depuis longtemps, notamment dans les espaces féministes, entre meufs, et les espaces LGBTQI, entre gens non-cisgenres/hétérosexuel.le.s. Bref, sans les dominant.e.s, qui ont des comportements violents envers les populations aux dépens desquelles iels jouissent de leurs privilèges. Et ce, même lorsque ces personnes là sont "déconstruites".
On peut facilement comprendre l'importance, et la nécessité absolue, de ces réunions en non-mixité lorsqu'on voit la colère de celleux qui n'y sont pas convié.e.s face à l'annonce de l'événement... qui ne les aurait pas intéressé.e.s si l'invitation avait été formulée autrement. Il n'y a qu'à voir le déferlement de haine, campagnes de diffamation et de harcèlement que se prennent les militantes afroféministes sur les réseaux sociaux lorsqu'elles organisent des events qui ne sont pas ouverts aux personnes blanches ! Cet acharnement enragé est, à mon sens, le lointain cousin de la répression policière des mouvements sociaux : symptôme d'un pouvoir qui craint de perdre son autorité.
C'est pourtant sachant tout cela, aussi bien en théorie que dans la pratique, que j'ai découvert qu'il était possible de faire la même chose entre gros.ses. Le concept ne m'était tout simplement pas venu à l'esprit ! L'habitude de voir la grossophobie relayée au rang des faux problèmes dans les cercles militants et "woke", sans doute... Du coup, ça m'est tombé dessus l'hiver dernier, sans que je ne voie venir la chose. C'est après la journée de sensibilisation à la grossophobie, organisée le 15 décembre 2017 à l'Hôtel de Ville de Paris, que j'ai passé ma toute première soirée entre meufs grosses. Et cette expérience m'a complètement ouvert les yeux sur mes relations sociales avec les personnes minces de mon entourage, qui s'y trouvent en large (pun intended) majorité.
Gros remplacement
Nous étions quelques militantes fat positive à profiter de la venue de la blogueuse et fat activiste américaine Jes Baker pour organiser un petit dîner dans la capitale. Au moment de s'installer au restaurant, on a toutes pris le soin d'évaluer, ensemble, la taille du passage vers le bout de la table ainsi que l'épaisseur et la solidité des chaises disponibles, pour que les plus grosses d'entre nous peinent moins. Une démarche qui devrait aller de soi, et qui allait de soi puisqu'elle s'est faite tout naturellement dans cet environnement. Pourtant, c'est quelque chose de rarissime, pour ne pas dire inexistant, lorsqu'il y a une ou deux personnes grosses en minorité parmi des minces.
J'ai pris en pleine face la réalisation que l'on ne se soucie jamais nos besoins en termes d'accessibilité, de notre confort et de notre dignité, lorsque nous sommes entouré.e.s de non-gros.ses. J'ai repensé au nombre de soirées que j'ai passées mal installée, recroquevillée, pour ne surtout pas déborder, prenant sur moi dans la douleur pour ne pas perdre la face. Et priant pour ne pas casser le maigre mobiliser censé me soutenir. Une colère rétrospective s'est emparée de moi, au second plan du pied que je prenais avec mes sœurs de gras.
Depuis ce soir là, j'ai décidé de ne plus mettre mon confort entre parenthèses et d'occuper l'espace que j'ai le droit d'investir, étant donné mon volume. Maintenant, je repère l'endroit le plus accueillant et safe pour mon gros cul et j'y vais, après avoir vérifié que personne n'en ait visiblement plus besoin que moi. Un changement d'attitude pas forcément si visible que ça pour un oeil non-averti, je pense, mais qui vous révolutionne une existence, croyez-moi !
Et ça, c'est juste un exemple, un détail.
Naturellement, aucun propos grossophobe n'a été prononcé dans le groupe durant cette soirée. Et les regards de travers que toute personne grosse installée quelque part dans l'espace public _en particulier dans un contexte de repas_ se prend inévitablement étaient... imperceptibles. Était-ce parce que nous étions en train de vivre un moment d'empouvoirment hors du commun que nous ne les avons pas sentis ? Ou bien était-ce l'énergie dégagée par notre groupe, fière et solidaire, qui empêchait les lâches grossophobes de se livrer à leurs habituelles intimidations ? Un an après, je n'arrive toujours pas à en être certaine. Un peu des deux, j'imagine.
Ce soir là, on a plaisanté sur le fait qu'on "reprenait" Paris. Mais c'était vraiment ça.
On a pris la place qu'on avait le droit d'utiliser sans s'excuser, on a investi l'espace public sans se poser de questions. C'est vrai que ça doit être reposant de vivre le dehors ainsi, comme les minces, qui ne se rendent pas compte de leur privilège. Et qui chouinent dès qu'on leur met le nez dedans. Précision avant de me faire une énième fois accuser de "minçophobie" (coucou, ça n'existe pas dans un monde pensé avant tout par et pour les minces) : je parle "des minces" comme d' un groupe social, dominant, pas d'individus. Donc inutile de prendre mes propos personnellement. Sauf si ça vous fait cogiter sur vos attitudes et leur pourquoi, parce que c'est important de le faire. Surtout si vous vous dites allié.e.s de la lutte contre la grossophobie.
Plus le temps passe et plus je remarque l'énergie déployée par les gros.ses pour se faire minuscules, pour ne pas gêner, tandis que les minces ne font pas cet effort. Les rares fois où je sors dans des lieux de fêtes, par exemple, je le ressens : je fais tout pour ne pas bouger, le plus loin du passage possible, pour ne pas faire chier les autres. Tandis que les minces font des allers-retours sans fin, s'excusent rarement de vous bousculer ou de vous renverser leurs verres dessus en passant parce qu'iels ne le voient même pas. L'espace public leur est acquis. Je me repense aussi à ce voyage dans un métro bondé, une fois. Dans le carré de quatre places où je me trouvais, nous étions trois meufs grosses. Compactées, droites comme des I, dignes, nous débordions à peine de nos sièges. Ce qui laissait tout loisir au petit loustic maigrichon en face de nous de manspreader de tout son long, jusqu'à nous toucher toutes les trois à la fois.
Quelques jours après cette mémorable sortie fat power du 15 décembre de l'an dernier, une amie grosse et moi-même avons revu Jes. Et cette énergie était tout aussi palpable en trio. Je me souviens de ce moment où, dans les côtes de Montmartre, on a toutes les trois ouvert nos manteaux puis retiré des couches et qu'on s'est comprises. On n'a pas eu besoin de justifier qu'on avait très chaud malgré les températures frisant le négatif. Au contraire, nous avons exprimé notre soulagement d'avoir cette liberté, sans le regard interrogateur ou moqueur d'une personne mince à gérer. Quelque chose d'anodin vu de l'extérieur je suppose, mais pour moi, ça a été un des plus grands moments d'insouciance et d'apaisement qu'il m'ait été donné de vivre en 29 ans. Et une prise de conscience mémorable, aussi.
Un petit mois plus tard, mes impressions étaient confirmées lors des Etats Généraux de la Grossophobie, organisés par l'association Gras Politique à Paris. Certes, il y avait quelques allié.e.s minces dans l'assistance, mais je les ai trouvé.e.s très respectueux.ses, sachant rester à leur place et n'ouvrant le bec que pour poser de sincères et pertinentes questions dont nous n'avions pas déjà donné la réponse. Mais surtout, nous étions une majorité de gros.ses. Le paradigme était totalement renversé. Pas de place pour la honte d'être "le monstre" du groupe de minces et beaucoup de fatoyance dans la salle !
Durant l'après-midi, nous nous sommes réparti.e.s en différents groupes de réflexion sur des thématiques précises (représentations, vie sociale, santé...). Nous avons été amené.e.s, pour certain.e.s, à évoquer des sujets graves et difficiles en lien avec toutes les formes de grossophobie que nous avons pu subir. Et c'était léger de pouvoir le faire. Pas d'étonnements naïfs, pas de "tu vois le mal partout". Juste de la compréhension, du respect et de la solidarité. Clairement, nous avons besoin de plus de temps et d'espaces pour de la non-mixité grosse. Aussi bien pour nos bonheurs individuels que pour mettre la grossophobie derrière nos gros derrières... et l'étouffer de nos puissants bourrelets.
Bon. Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça maintenant, me demanderez-vous ? Eh bien tout simplement pour vous recommander chaleureusement de vous saisir au plus vite du formidable outil qu'est la non-mixité entre personnes grosses. Avant les réveillons, entre les réveillons, après les réveillons. Aussi souvent que vous le voudrez et que vous le pourrez pour faire le plein d'une trop rare énergie.
Si les réseaux sociaux permettent de se sentir mieux représenté.e.s en tant que gros.ses et de trouver une communauté d'entraide engagée, engageante et aimante contre la grossophobie... Se retrouver bien en chair et avec peu d'os, entre éléphant.e.s, bibendums et autres propagandistes de l'obésité (oui, on se fait vraiment appeler comme ça lorsque l'on milite pour que les gros.ses soient respecté.e.s au même titre que les minces), est quelques crans au-dessus en termes de kiff et de ressources.
Je peux même garantir à celleux qui me lisent et qui se disent que "ça doit être sympa" qu'iels n'ont pas idée d'à quel point cette sensation est au-delà de la certes merveilleuse mais simple joie. Des prises de consciences monumentales vous attendent sur l'étendue de la grossophobie dans laquelle nous vivons. Et la découverte d'une bienveillance inouïe dans des détails que vous n'aviez même pas remarqué tant vous vous êtes adapté.e.s à cette société qui vous méprise et vous invisibilise en prime !
Donc pour faire le plein de courage avant le repas de famille où on va surveiller votre assiette, pour reprendre goût à la vie après une soirée "de fêtes" où les blagues et réflexions grossophobes ont fusé ou à n'importe quel moment de l'année... je vous encourage à organiser des sorties entre gros.ses. Qu'il s'agisse de petits groupes de copain.e.s, de la création d'un collectif militant près de chez vous, ou encore de l'organisation une soirée communautaire.
Et si vous avez, dans votre malheur, la chance d'être deux ou trois gros.ses dans l'assistance... essayez de vous regroupez et de faire front. Et, petite technique testée et approuvée enseignée par une amie : face à une blague grossophobe (ça marche aussi pour "l'humour" sexiste, raciste, LGBTQIphobe, validiste et psychophobe), faites l'idiot.e. Demandez à votre aimable interlocuteur.rice d'expliquer sa plaisanterie, histoire que vous compreniez en quoi c'est drôle, et regardez lae se confondre en explications bancales tout en sirotant le contenu de votre coupette.
Adipeux Noël et Grosse Année à toustes ♥
PS : Voici mes articles sur la grossophobie et le mouvement body positive en périodes de fêtes des années précédentes ;)
On raconte la perte de poids de la jeune femme comme le passage d'un "monstre" à une "bombe". Et si elle a effectivement subi le harcèlement de ses camarades à l'école parce que leurs comportements sont le reflet de la société grossophobe dans laquelle iels évoluent, parler "d'obésité" pour une personne mesurant 1m78 et pesant 80kg est inexact. Et donc mensonger. Certes, l'IMC (25,2 : synonyme de surpoids, pour la Vaimalama Chaves pré-régime) est toujours autant un concept approximatif et biaisé. Mais envoyer le message aux masses qu'un tel rapport poids/taille soit le signe d'une obésité "monstrueuse"... c'est tout simplement criminel. Tout comme le fait de ne raconter que les histoires de pertes de poids dans les représentations collectives, pour bien asseoir l'idée que c'est le seul salut des gros.ses et autres "pas minces". Oui, criminel. La grossophobie tue.
Donc comme si on n'avait pas assez à faire au mois de décembre, avec la complainte des minces qui ont peur de grossir (j'ai fait un petit thread Twitter là-dessus la semaine dernière, je prépare un article) à cause de deux malheureux repas de réveillon et une boîte de chocolats _enchaînant blagues grossophobes et dissertations sur les régimes et détox à longueur de journée pour se rassurer aux dépens des gros.ses_ on baigne dans les clichés de ce faux conte de fées instrumentalisé à la gloire du culte de la minceur. Et pourtant c'est un gros monsieur en costume rouge qu'on va célébrer durant les derniers jours de l'année ? Il y est des contradictions qui me dépassent, ma foi.
Bref, parenthèse de contexte terminée... j'ai envie de vous parler d'un très chouette outil pour faire le plein de puissance : la non-mixité entre personnes grosses.
J'ai compris l'intérêt du concept de non-mixité depuis longtemps, notamment dans les espaces féministes, entre meufs, et les espaces LGBTQI, entre gens non-cisgenres/hétérosexuel.le.s. Bref, sans les dominant.e.s, qui ont des comportements violents envers les populations aux dépens desquelles iels jouissent de leurs privilèges. Et ce, même lorsque ces personnes là sont "déconstruites".
On peut facilement comprendre l'importance, et la nécessité absolue, de ces réunions en non-mixité lorsqu'on voit la colère de celleux qui n'y sont pas convié.e.s face à l'annonce de l'événement... qui ne les aurait pas intéressé.e.s si l'invitation avait été formulée autrement. Il n'y a qu'à voir le déferlement de haine, campagnes de diffamation et de harcèlement que se prennent les militantes afroféministes sur les réseaux sociaux lorsqu'elles organisent des events qui ne sont pas ouverts aux personnes blanches ! Cet acharnement enragé est, à mon sens, le lointain cousin de la répression policière des mouvements sociaux : symptôme d'un pouvoir qui craint de perdre son autorité.
C'est pourtant sachant tout cela, aussi bien en théorie que dans la pratique, que j'ai découvert qu'il était possible de faire la même chose entre gros.ses. Le concept ne m'était tout simplement pas venu à l'esprit ! L'habitude de voir la grossophobie relayée au rang des faux problèmes dans les cercles militants et "woke", sans doute... Du coup, ça m'est tombé dessus l'hiver dernier, sans que je ne voie venir la chose. C'est après la journée de sensibilisation à la grossophobie, organisée le 15 décembre 2017 à l'Hôtel de Ville de Paris, que j'ai passé ma toute première soirée entre meufs grosses. Et cette expérience m'a complètement ouvert les yeux sur mes relations sociales avec les personnes minces de mon entourage, qui s'y trouvent en large (pun intended) majorité.
Gros remplacement
(c'est pas de moi, c'est des militant.e.s de Gras Politique !)
Nous étions quelques militantes fat positive à profiter de la venue de la blogueuse et fat activiste américaine Jes Baker pour organiser un petit dîner dans la capitale. Au moment de s'installer au restaurant, on a toutes pris le soin d'évaluer, ensemble, la taille du passage vers le bout de la table ainsi que l'épaisseur et la solidité des chaises disponibles, pour que les plus grosses d'entre nous peinent moins. Une démarche qui devrait aller de soi, et qui allait de soi puisqu'elle s'est faite tout naturellement dans cet environnement. Pourtant, c'est quelque chose de rarissime, pour ne pas dire inexistant, lorsqu'il y a une ou deux personnes grosses en minorité parmi des minces.
J'ai pris en pleine face la réalisation que l'on ne se soucie jamais nos besoins en termes d'accessibilité, de notre confort et de notre dignité, lorsque nous sommes entouré.e.s de non-gros.ses. J'ai repensé au nombre de soirées que j'ai passées mal installée, recroquevillée, pour ne surtout pas déborder, prenant sur moi dans la douleur pour ne pas perdre la face. Et priant pour ne pas casser le maigre mobiliser censé me soutenir. Une colère rétrospective s'est emparée de moi, au second plan du pied que je prenais avec mes sœurs de gras.
Depuis ce soir là, j'ai décidé de ne plus mettre mon confort entre parenthèses et d'occuper l'espace que j'ai le droit d'investir, étant donné mon volume. Maintenant, je repère l'endroit le plus accueillant et safe pour mon gros cul et j'y vais, après avoir vérifié que personne n'en ait visiblement plus besoin que moi. Un changement d'attitude pas forcément si visible que ça pour un oeil non-averti, je pense, mais qui vous révolutionne une existence, croyez-moi !
Et ça, c'est juste un exemple, un détail.
Naturellement, aucun propos grossophobe n'a été prononcé dans le groupe durant cette soirée. Et les regards de travers que toute personne grosse installée quelque part dans l'espace public _en particulier dans un contexte de repas_ se prend inévitablement étaient... imperceptibles. Était-ce parce que nous étions en train de vivre un moment d'empouvoirment hors du commun que nous ne les avons pas sentis ? Ou bien était-ce l'énergie dégagée par notre groupe, fière et solidaire, qui empêchait les lâches grossophobes de se livrer à leurs habituelles intimidations ? Un an après, je n'arrive toujours pas à en être certaine. Un peu des deux, j'imagine.
Ce soir là, on a plaisanté sur le fait qu'on "reprenait" Paris. Mais c'était vraiment ça.
On a pris la place qu'on avait le droit d'utiliser sans s'excuser, on a investi l'espace public sans se poser de questions. C'est vrai que ça doit être reposant de vivre le dehors ainsi, comme les minces, qui ne se rendent pas compte de leur privilège. Et qui chouinent dès qu'on leur met le nez dedans. Précision avant de me faire une énième fois accuser de "minçophobie" (coucou, ça n'existe pas dans un monde pensé avant tout par et pour les minces) : je parle "des minces" comme d' un groupe social, dominant, pas d'individus. Donc inutile de prendre mes propos personnellement. Sauf si ça vous fait cogiter sur vos attitudes et leur pourquoi, parce que c'est important de le faire. Surtout si vous vous dites allié.e.s de la lutte contre la grossophobie.
Plus le temps passe et plus je remarque l'énergie déployée par les gros.ses pour se faire minuscules, pour ne pas gêner, tandis que les minces ne font pas cet effort. Les rares fois où je sors dans des lieux de fêtes, par exemple, je le ressens : je fais tout pour ne pas bouger, le plus loin du passage possible, pour ne pas faire chier les autres. Tandis que les minces font des allers-retours sans fin, s'excusent rarement de vous bousculer ou de vous renverser leurs verres dessus en passant parce qu'iels ne le voient même pas. L'espace public leur est acquis. Je me repense aussi à ce voyage dans un métro bondé, une fois. Dans le carré de quatre places où je me trouvais, nous étions trois meufs grosses. Compactées, droites comme des I, dignes, nous débordions à peine de nos sièges. Ce qui laissait tout loisir au petit loustic maigrichon en face de nous de manspreader de tout son long, jusqu'à nous toucher toutes les trois à la fois.
Inverser le pa(g)radigme
Quelques jours après cette mémorable sortie fat power du 15 décembre de l'an dernier, une amie grosse et moi-même avons revu Jes. Et cette énergie était tout aussi palpable en trio. Je me souviens de ce moment où, dans les côtes de Montmartre, on a toutes les trois ouvert nos manteaux puis retiré des couches et qu'on s'est comprises. On n'a pas eu besoin de justifier qu'on avait très chaud malgré les températures frisant le négatif. Au contraire, nous avons exprimé notre soulagement d'avoir cette liberté, sans le regard interrogateur ou moqueur d'une personne mince à gérer. Quelque chose d'anodin vu de l'extérieur je suppose, mais pour moi, ça a été un des plus grands moments d'insouciance et d'apaisement qu'il m'ait été donné de vivre en 29 ans. Et une prise de conscience mémorable, aussi.
Un petit mois plus tard, mes impressions étaient confirmées lors des Etats Généraux de la Grossophobie, organisés par l'association Gras Politique à Paris. Certes, il y avait quelques allié.e.s minces dans l'assistance, mais je les ai trouvé.e.s très respectueux.ses, sachant rester à leur place et n'ouvrant le bec que pour poser de sincères et pertinentes questions dont nous n'avions pas déjà donné la réponse. Mais surtout, nous étions une majorité de gros.ses. Le paradigme était totalement renversé. Pas de place pour la honte d'être "le monstre" du groupe de minces et beaucoup de fatoyance dans la salle !
Durant l'après-midi, nous nous sommes réparti.e.s en différents groupes de réflexion sur des thématiques précises (représentations, vie sociale, santé...). Nous avons été amené.e.s, pour certain.e.s, à évoquer des sujets graves et difficiles en lien avec toutes les formes de grossophobie que nous avons pu subir. Et c'était léger de pouvoir le faire. Pas d'étonnements naïfs, pas de "tu vois le mal partout". Juste de la compréhension, du respect et de la solidarité. Clairement, nous avons besoin de plus de temps et d'espaces pour de la non-mixité grosse. Aussi bien pour nos bonheurs individuels que pour mettre la grossophobie derrière nos gros derrières... et l'étouffer de nos puissants bourrelets.
Non-mixité grosse et fêtes de fin d'année
Bon. Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça maintenant, me demanderez-vous ? Eh bien tout simplement pour vous recommander chaleureusement de vous saisir au plus vite du formidable outil qu'est la non-mixité entre personnes grosses. Avant les réveillons, entre les réveillons, après les réveillons. Aussi souvent que vous le voudrez et que vous le pourrez pour faire le plein d'une trop rare énergie.
Si les réseaux sociaux permettent de se sentir mieux représenté.e.s en tant que gros.ses et de trouver une communauté d'entraide engagée, engageante et aimante contre la grossophobie... Se retrouver bien en chair et avec peu d'os, entre éléphant.e.s, bibendums et autres propagandistes de l'obésité (oui, on se fait vraiment appeler comme ça lorsque l'on milite pour que les gros.ses soient respecté.e.s au même titre que les minces), est quelques crans au-dessus en termes de kiff et de ressources.
Je peux même garantir à celleux qui me lisent et qui se disent que "ça doit être sympa" qu'iels n'ont pas idée d'à quel point cette sensation est au-delà de la certes merveilleuse mais simple joie. Des prises de consciences monumentales vous attendent sur l'étendue de la grossophobie dans laquelle nous vivons. Et la découverte d'une bienveillance inouïe dans des détails que vous n'aviez même pas remarqué tant vous vous êtes adapté.e.s à cette société qui vous méprise et vous invisibilise en prime !
Donc pour faire le plein de courage avant le repas de famille où on va surveiller votre assiette, pour reprendre goût à la vie après une soirée "de fêtes" où les blagues et réflexions grossophobes ont fusé ou à n'importe quel moment de l'année... je vous encourage à organiser des sorties entre gros.ses. Qu'il s'agisse de petits groupes de copain.e.s, de la création d'un collectif militant près de chez vous, ou encore de l'organisation une soirée communautaire.
Et si vous avez, dans votre malheur, la chance d'être deux ou trois gros.ses dans l'assistance... essayez de vous regroupez et de faire front. Et, petite technique testée et approuvée enseignée par une amie : face à une blague grossophobe (ça marche aussi pour "l'humour" sexiste, raciste, LGBTQIphobe, validiste et psychophobe), faites l'idiot.e. Demandez à votre aimable interlocuteur.rice d'expliquer sa plaisanterie, histoire que vous compreniez en quoi c'est drôle, et regardez lae se confondre en explications bancales tout en sirotant le contenu de votre coupette.
Adipeux Noël et Grosse Année à toustes ♥
PS : Voici mes articles sur la grossophobie et le mouvement body positive en périodes de fêtes des années précédentes ;)
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